La présence de l’humanité semble être passagère dans cet Univers. Nous ne sommes là que depuis là quelques milliers d’années, ce qui représente une petite vague dans cet océan d’histoire, qui frôle les 13 milliards d’années. Toute la civilisation humaine, ses constructions, ses guerres, ses découvertes, ne sont finalement pas plus d’un clin d’œil. Cela nous aide à relativiser sur ce que nous accomplissons dans nos vies, et remettre en question notre place dans l’Univers.
Cette introspection nous permet de revoir nos priorités, et nous concentrer sur des questions beaucoup plus importantes, et à vision plus globale de ce qui nous entoure. Une sorte d’ascension philosophique qui nous pousse à nous poser plusieurs questions existentielles. Peut-être que parmi les énigmes les plus marquantes de la présence de l’être humain reste ce conflit éternel entre libre arbitre et destin. Lequel régie notre vie ? Avons-nous la liberté de choisir et tracer notre propre voie, ou sommes-nous contraints à suivre un chemin pré-dessiné ?
La réponse à cette question reste une quête de vie, durant laquelle beaucoup se sont perdus en route. Nous nous apprêtons à nous investir dans une réelle odyssée, tel Ulysse ou Jason et ses Argonautes, et le périple sera rude, plein d’obstacles. Nous allons essayer d’éviter de reproduire leurs malheurs, car nous allons donner un contexte à cette odyssée.
Nous vivons dans un pays qui baigne dans la culture du football. Nous ne pouvons pas assurer que nous sommes une grande nation du football, mais c’est bel et bien une passion que nous percevons et ressentons au quotidien. Le football a conquis nos cœurs, mais aussi nos maisons, nos cafés, et nos places publiques. Aucune parcelle de ce pays ne reste immunisée contre l’intérêt porté au football. Ceci a fait en sorte que chaque marocain, quelles que soient ses origines ou sa classe sociale, penche vers un club ou un autre. Mais aucun de nous ne peut nier que le club le plus populaire dans ce pays est le Raja, et il porte bien fièrement le surnom de « club de peuple » pour cela. Ceci n’est pas un jugement subjectif, mais un constat. Les supporters de ce club se comptent par millions, et sont disséminés dans les quatre recoins de ce pays.
La diaspora du Raja a donc quelque chose de particulier, et elle nous pousse à nous poser cette question : Comment devient-on Rajaoui ? Est-ce que l’on choisit par soi-même de le devenir, ou y sommes-nous prédestinés ?
Une grande partie des Rajaouis a fait l’expérience de ce premier coup de foudre pour les couleurs verte et blanche très tôt dans leur vie, généralement entre l’enfance et les prémices de l’adolescence. Nous gardons tous un souvenir qui nous lie à cette révélation du Raja, ce rayon de lumière qui est venu éclairer notre vie. Tel un court-métrage, que nous rembobinons à chaque fois que nous cherchons une once de bonheur dans notre quotidien, nous nous rappelons notre premier match vu à la télé, notre premier chant appris, ou la première fois que notre petit corps innocent s’est retrouvé au milieu de ce mélange homogène et jovial qu’est le Stade d’Honneur. Est-ce bon de dire que nous partageons tous un point en commun : comment a-t-on été introduit au Raja ? Certains diront que leur père était fervent supporter depuis des lustres, donc que cet amour est héréditaire, d’autres répliqueront que leur quartier ou leur école exhalait le Raja, donc que cet amour est contagieux. Mais peut-être que quelques-uns préféreraient répondre qu’ils ont découvert le Raja pendant un événement sportif majeur de l’histoire du club : Ligue des Champions, Coupe de la Confédération, Coupe du monde des Clubs, …
Si nous cherchons la corrélation entre toutes ces réponses, le lien est limpide : Nous avons, pour la plupart, été influencé par l’environnement dans lequel nous vivons, de manière directe ou indirecte. Cela dit, ce constat est tout sauf péjoratif. C’est une réelle confirmation de combien notre société est imprégnée de cette passion du Raja, et la matrice qui constitue la base de ce pays baigne dans un plasma vert.
Cette corrélation souligne donc que nous avons été prédestinés à devenir Rajaouis, qu’avant même notre naissance, tous les paramètres étaient calculés et prêts à être mis en œuvre pour qu’on porte à jamais les mêmes couleurs, verte et blanche. C’est ainsi que nous introduisons ce qui est communément appelé déterminisme.
Le déterminisme est la croyance que tout événement a une cause, et que tout ce qui se passe dans le présent est le résultat nécessaire d’événements qui se sont produits dans le passé. Si je dois par exemple faire un choix d’une équipe à supporter, mon choix n’a pas plusieurs options, mais une seule. Et cette option est la conséquence d’un précédent événement, c’est-à-dire par exemple que toute ma famille supporte la même équipe. Si l’on suit cette théorie, toute personne ne peut rien faire d’autre que ce qu’elle a déjà fait, et donc n’est jamais libre de faire ses propres choix. Pour les philosophes du déterminisme, toute action est la somme de plusieurs paramètres : la croyance, le désir, et enfin le tempérament. Pour le cas du RAJA, chacun d’entre nous répondra qu’il l’a choisi parce qu’il croit en son symbolisme d’équipe du peuple, parce qu’il est fier de son histoire et palmarès, et parce qu’il défend et partage ses valeurs de noblesse, de beau jeu et de respect (paramètre de croyance). Le Rajaoui ajoutera aussi qu’il désire supporter le RAJA parce qu’il le considère comme étant plus fort que les autres clubs de son pays (paramètre du désir). Enfin, il clôturera son argumentation en s’appuyant sur son envie d’appartenir au public qui supporte cette équipe, public auquel il tient une grande admiration (paramètre du tempérament).
On peut donc se dire, si on analyse juste ces trois paramètres hors de leur contexte, que le choix final peut se faire parmi une centaine d’autres équipes. Mais il est évident qu’il existe d’autres paramètres enfouis dans notre subconscient, par exemple le pays dans lequel on vit, le sport le plus populaire et le plus représenté dans notre société, le palmarès décevant des autres équipes, ou aussi les préjugés qu’on se fait de ces dernières.
Cette théorie du déterminisme, ou croyance déterministe, a beaucoup été romantisée pour l’expliquer et la simplifier. Rappelons le cas d’Œdipe. A sa naissance, son père reçoit une prophétie qui raconte comment son fils va grandir et plus tard tuer son père et se marier à sa mère. Le père décide alors d’abandonner son fils dans la forêt, loin de sa maison. Le nourrisson est retrouvé par une famille qui l’adopte. En grandissant, Œdipe découvre la prophétie de sa vie, et s’éloigne de ses parents adoptifs pour éviter de leur faire du mal. Sur sa route, il tue un étranger lors d’un conflit, ne sachant pas que cet étranger est en fait son père biologique. Plus tard, il se mariera à la veuve de l’étranger pour la réconforter de sa perte, sans savoir non plus que cette femme est sa mère naturelle. A la découverte de cette fatalité, Œdipe se mutile et fuit son pays. La moralité derrière cette légende grecque réside dans l’aspect du déterminisme, et la fatalité qu’on ne peut pas échapper à notre destin.
Le déterminisme est facilement prouvé dans certains aspects de la vie, comme par exemple dans les sciences. Nous savons que dans une expérience physique, ou dans une équation mathématique, les mêmes causes ont forcément les mêmes conséquences. Si nous faisons l’hypothèse qu’ajouter 1 + 1 donne comme résultat 2, alors 2 + 2 donnera 4. Si nous mixons du jaune au bleu, alors nous obtiendrons du vert. Cela donc est vrai dans le monde physique autour de nous. Plusieurs philosophes, dont Hume, ont construit leurs essais philosophiques sur la théorie que nous pouvons aussi appliquer ce déterminisme à la vie morale, c’est-à-dire les choix et les actions humaines.
Cette application, ou transposition de la théorie du monde physique vers le monde moral est devenue nécessaire durant ces dernières décennies, étant donné l’évolution des systèmes juridiques et l’apparition de sciences comme la psychanalyse. Avec l’apparition de nouveaux cas sociaux assez ambigus, les scientifiques ont commencé à se poser des questions par rapport aux causes réelles derrière le comportement et choix de certaines personnes. Comment peut-on déterminer si la personne a agi d’elle-même, ou si elle a été influencée par des paramètres externes sur lesquels cette personne n’a pas la main ?
Ainsi, le déterminisme atteste que notre choix de supporter le RAJA n’est pas libre, mais qu’il est la conséquence et le fruit de plusieurs causes et paramètres qui ont façonné notre vie.
Toutefois, une autre partie des Rajaouis, faisant essentiellement partie de la diaspora – Rajaouis qui sont nés ou ont grandi dans une autre ville que Casablanca – pourrait laisser penser que leur choix de supporter notre équipe est tout sauf déterministe. En effet, si nous analysons les faits, ils ne vivent pas dans la même ville que celle du Raja, leur famille est peut-être tout sauf avide du football, et ils ont certainement grandi bercés de la culture d’un autre club local. Pourtant, la vie a voulu que cette personne se révolte contre tous ces paramètres et se décide, par son propre choix, à jurer fidélité au RAJA. Ce choix rentre dans ce qu’on appelle le libre-arbitre.
[Partie 2]