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Durant les années 60, un phénomène éclore et migre depuis le Brésil jusqu’en Italie, un pays qui faisait l’expérience d’une réelle transformation de son football, notamment grâce au Catenaccio, ce style défensif inhabituel, d’un football qui jusque-là se résumait au Kick and Rush classique, et dépourvu de cet aspect tactique qui ferait tout son sel plus tard. Cela dit, après le développement profond qu’a connu le football européen, l’importation du model Torcidas installa une nouvelle perception du supporter idéal, soit l’apparition d’une nouvelle manière de soutenir son équipe. L’Ultras était né, un terme qui transcendera son explication étymologique et muta pour devenir une philosophie de vie pour des milliers d’italiens fidèles aux couleurs de leurs clubs. Ainsi, pour en discuter, nous ne ferons pas une simple tentative de répertorier ou de narrer l’historique de ce Mouvement Ultras, mais nous chercherons à développer une introduction, à la sauce Ibn Khaldoun, pour comprendre les nuances du fanatisme.
Les mots violence et supporter sont deux termes hétéroclites, deux concepts qui ne vont naturellement pas ensemble, mais qui malheureusement, constituent aujourd’hui pour beaucoup de gens les deux faces de la seule médaille. Ce lapsus est certainement dû au mince brouillard cachant la réalité de l’ultras. Ici, nous parlons bien des Ultras et non des Hooligans, encore deux termes distincts, qui signifient deux choses, très différentes et opposées dans le fond et la forme, mais qui sont injustement accouplés par notre société marocaine, ce qui prête à confusion. Pour bien remédier à ces amalgames, une étude est nécessaire. Elle sera donc une énième tentative pour corriger les préjugés qui nous causent tort depuis 14 ans et qui provoquent un méli-mélo d’idées préconçues désorientant l’opinion publique.
Avant de s’attaquer à la relation entre fanatisme/ultras et violence, nous devrions d’abord nous poser quelques questions : qu’est-ce que la violence ? Quelle est son origine ? Et quel est son lien avec la société marocaine ?
Pour y répondre correctement, il faudrait commencer par brosser le portrait de l’écosystème social marocain, un pays où le taux de scolarisation n’est toujours pas au meilleur de ses formes, un pays où l’analphabétisme est omniprésent, une nation où la disparité et les inégalités socio-économiques sont flagrantes à chaque coin de rue. Un pays où il existe toujours un bon nombre de gens vivant dans des conditions inhumaines, un quotidien dépourvu de voies sanitaires et d’infrastructures basiques et nécessaires. Une face cachée du pays, dans un contraste total avec le produit touristique vendu à l’international, que l’on a préféré dénommer « le Maroc profond », comme si elle appartenait à un tout autre monde. Ici, dans le plus beau pays du monde, mourir de froid est toujours d’actualité, et compter un docteur tous les 500 kilomètres n’est plus aussi choquant.
Au milieu de ce melting-pot d’anomalies sociales, il est très courant de voir une population développer de plus en plus de troubles de comportement. L’écosystème est propice à la naissance de mauvaises herbes. Tous les ingrédients sont là pour que la violence surgisse, et devienne de plus en plus présente au sein des différentes strates sociales. Elle se manifeste alors sous forme d’un simple symptôme de frustration contre toute cette souffrance que vit le marocain lambda. C’est ici qu’apparaît la première forme de violence, celle qu’on lie généralement aux groupes ultras : le vandalisme. L’atteinte aux biens publiques est un fléau qui se manifeste de plus en plus ces dernières années, notamment après des événements sportifs ou bien des manifestations « dégénérées ». Il est illogique de lier l’origine de ces actes au mouvement Ultras, et l’afficher en tant que « source de tous les malheurs de note société et de nos villes », pour reprendre l’expression favorite et « passe-partout » de certains médias. Il faut plutôt chercher l’explication rationnelle, et objective de la chose, qui observe que le vandalisme, dans sa forme sociale d’atteinte aux biens publiques, est causé principalement par la frustration développée chez des citoyens vis-à-vis d’un Etat contre qui ils ne peuvent grand-chose, sauf détruire ce qu’ils jugent appartenir directement à cet organisme. C’est-à-dire que pour me venger d’un Etat qui me fait vivre un calvaire quotidien, je vais m’attaquer à ce qui me semble être sa propriété la plus accessible et significative : soit un bus, des voitures de fonction, ou des aménagements publics. C’est ce qui pousse aussi plusieurs personnes à s’attaquer directement aux forces de l’ordre, qui sont considérées comme un outil de répression étatique, soit une extension du bras de l’oppresseur. C’est donc loin de cette image qu’on se fait d’un vandalisme qu’on explique comme étant une expression de joie/malheur suite à un résultat insatisfaisant d’un simple match de foot.
Mais que vaut le vandalisme contre ce qui est plus approprié au domaine Ultras, soit les rivalités sportives qui, à en croire certaines intellectuelles, n’ont jamais existé avant l’apparition des prémices du mouvement Ultras au Maroc, ignorant encore une fois l’aspect social du phénomène. Ainsi, en rappelant l’Old Firm écossais, le Clasico espagnol, le Merseyside anglais, ainsi que le derby italien de la Lanterne, le football comme sport est naturellement attaché à la dualité, la compétition, la concurrence, et à l’aspect de rivalité qui fait toute la ferveur des plus grandes confrontations, il est donc normal que cette ardeur et engouement se transportent chez le supporter, encore plus chez le membre Ultras qui respire les couleurs de son Club. C’est dans ces moments que la pelouse verte fait office de ring de boxe, où les tacles les plus agressifs sont les sujets des plus grandes acclamations du public, où un but est célébré aussi passionnément que la conquête d’un territoire ennemi en pleine guerre et où la victoire est synonyme d’extase chez le vainqueur. Le sacre est devenu preuve d’hégémonie, et compose une mélodie bien propre au football.
Qu’est-ce que le football sans rivalité entre némésis ? Le statut de sport le plus populaire explique l’origine des rivalités qui décorent notre planète. Il puise sa force dans des conflits historiques et bien ancrés dans les sociétés : la dualité entre protestants et catholiques, la rivalité entre clubs représentant le peuple et ceux de l’aristocratie, entre pro-empires coloniaux et résistants indépendantistes. Le football devient le terrain où chacun défend égarement ses principes, car au lieu d’exprimer cette rivalité en guerre ou en violence, le sport paraît meilleur défouloir. L’Ultra’, étant supporter de football à l’origine, choisit donc de suivre cette voie tout naturellement, et au lieu de transformer cette haine en confrontations sanglantes après chaque match, s’offre une toute nouvelle manière d’exprimer sa rivalité avec l’équipe d’en face. Le mouvement Ultra’ étend donc un immense portail de créativité et de recherche qui pousse à la stimulation du cerveau de chaque supporter et membre et les incite à fournir un effort afin de comprendre le message derrière un Tifo ou un étendard. Ce moyen d’expression ne s’agit pas d’un simple canalisateur qui récupère toute cette violence emmagasinée et accumulée, toute cette rage inexprimée, mais sa complexité réside dans sa transformation en une force créative et artistique. C’est ce que Freud appelle la catharsis, ou le processus de sublimation du malheur et de la haine afin de créer un produit artistique. Dans le cas des Ultras, ces créations « alléchantes » deviennent de plus en plus, malheureusement, un infaillible moyen pour promouvoir les compétitions sportives de ce pays/continent à l’aide des animations créées dans les gradins, au détriment d’une médiocrité footballistique incomparable, et d’une organisation désastreuse et à l’improviste accompagnant chaque événement sportif. .
L’ultras ne contribue donc pas à la violence, du moins pas de façon naturelle et préméditée. Les rares cas où se produisent ce que les pseudo-médias aiment appeler « débordements ou dérapages » sont généralement dus à une réaction, et dans un aucun cas à une planification. Cette réaction vient donc sous forme d’une légitime défense contre des provocateurs ou agresseurs externes, et non comme activité organisée au préalable, et c’est ici que réside la différence entre Hooligan et membre Ultra. L’exemple récent le plus parlant reste l’incident au grand stade de Marrakech, où un conflit général a éclaté suite à des provocations dans les gradins de la part des forces de l’ordre, aboutissant à des arrestations en masse et de manière aléatoire, alors que la réaction des deux groupes Ultras était naturelle face à des scènes de bousculades préméditées et de provocations armées par les forces qui ne sèment que du désordre. Là encore le titre médiatique était biaisé : « Les ultras du raja font leur retour », comme si planifier des conflits face aux policiers faisait partie de nos ordres du jour. Une attitude médiatique et nationale qui jusqu’à ce jour ne fait qu’ajouter de l’huile au feu. Nous nous posons donc la question à chaque reprise : Avons-nous tort ? Une remise en question qui aboutit toujours au même constat : Nous faisons tout pour éviter ce genre de conflits, qui nous coûtent chers tant au niveau humain qu’au niveau psychique. Nous continuons donc de chercher une solution drastique pour limiter ces situations, et c’est bien pour cela que nous écrivons aujourd’hui pour alimenter cette réflexion.
Ainsi, un fanatique est une personne qui choisit d’élever son club au rang de principale préoccupation, de passe-temps unique, et de seule réalité en dehors de son quotidien familial et professionnel. Un fanatique n’est pas un criminel dépourvu de principes moraux et d’un minimum de QI. Loin de là, il est généralement très intégré dans son entourage et impliqué au sein de sa communauté. Il cherchera toujours à se hisser plus, pour apporter un plus pour son équipe et son groupe. Cela dit, dans le cas de toute atteinte à l’équipe qui représente sa raison de vivre, il se porte garant et prêt à la défendre, toujours sous le format de légitime défense. Cela est notre propre vision des choses. La réalité, elle, reste très occulte dans notre pays. Car on constate que l’Ultras s’est métamorphosée en ce qu’elle n’a jamais été à l’origine : une démonstration de force, un moyen accessible d’enclencher des guerres de rue, s’apparentant plus à une organisation criminelle qu’à un groupe de supporters dévoués par la passion. Malheureusement, ce nouveau modèle s’implante de plus en plus dans la scène marocaine. Cette mentalité nous entraîne vers des conflits futiles mais inévitables, et devient l’expression de défauts comportementaux sociaux, qui matérialisent la violence enfouie dans le corps et subconscient de tout marocain lambda.
Cette quête de définition et de correction des principes fondamentaux du mouvement Ultras qu’on mène contre ces parasites n’est pas et ne sera pas la seule, car nous cherchons en parallèle à aborder d’autres sujets qui nous touchent directement. Certains principes et sujets méritent une analyse si profonde que le « prêt-à-penser » servi aux marocains, et feront l’objet d’autres articles qui donneront suite à celui-là.
je prends du plaisir à lire vos articles.